Sous-culture ou sous-culture?
Le premier roman de Frédéric Beigbeder que j'ai lu est 99 francs, un peu avant qu'il ne soit traduit en euros. Le récit se voulait (ou)vertement provocateur et j'avais bien aimé le ton et le thème. J'étais pourtant rapidement passé à autre chose.
Il y a deux semaines, alors que j'avais plus de quatre heures à tuer dans le méga-complexe de l'aéroport-gare ferroviaire de Roissy Charles de Gaulle II, j'ai choisi de lire la dernière parution de cet auteur. J'ai longtemps hésité. Entre ce bouquin, un roman classique français et un essai sur la linguistique française. A croire que les Relais H ne vendent pas que des romans de gare. A ma gauche, un businessman gros et gras en costume-cravate hésitait, lui, entre différents titres du rayon X. Ca a dû influencer mon choix et j'ai décidé de replonger dans l'autocritique et le rejet de la société de consommation beigbéderiens.
Armée d'un paquet de M&Ms, les pieds sur ma valise, j'ai ainsi commencé Au secours pardon. Je savais à quoi m'attendre, je l'avais d'ailleurs un peu cherché. Je voulais de la provoc', du cru, j'en ai eu. Plein. Beigbeder y dénonce, encore une fois, la société de consommation, celle-là même qui l'a amené là où il est maitenant, dans son boat-people privé.
Dans ce roman, Beigbeder se livre à une sorte d'auto-analyse. Le ton y est plus triste et moins arrogant que dans 99 francs. Auto-analyse donc. Sous forme de confessions qui vont crescendo. Octave, le protagoniste, n'est autre qu'une extension de Frédéric. Comme 99 francs, c'est un roman de complaisance. Octave est un pourri, il le sait, il voudrait changer mais se complait trop dans ses vices. Devant le miroir, Beigbeder est conscient qu'il a sans doute pris goût à certaines choses au cours de sa carrière de publicitaire...
Je crois qu'il faut être un peu masochiste pour apprécier ce genre de lecture. Ca fait mal, souvent, on est choqué, indigné, mais c'est bon. Les phrases de Frédéric Beigbeder fouettent notre politiquement correct avec des branches d'orties qui caressent nos perversions refoulées.
Pourtant, Octave est un grand romantique. Il est amoureux de l'amour. Il est poète et donne tout pour prendre encore plus. C'est un excessif dangereux qui ne s'assume pas et cache ses faiblesses derrière son arrogance et ses billets de banque. C'est un personnage attachant et attendrissant.
Ca se lit donc très bien, même à une main, debout sur un quai de gare balayé par les bourrasques glaciales des TGV. C'est bien écrit, ça coule, ça file, les pages tournent et on veut absolument savoir ce qui se passe à la fin.
Pourtant, je serais incapable de dire si j'ai aimé ou pas. Il y a des choses qui m'ont agacée.
Comme Beigbeder est ex-publiciste, le roman regorge d'une terminologie de marketing. Termes anglais, franglais, anglicismes et néologismes se côtoyent sans se fâcher. Soit, on parle marketing, adoptons-en le métalangage. Mais en plus de cela, comme tout se déroule en Russie, en particulier à Moscou, on croise très souvent des mots et des phrases en russe. Personnellement, je n'ai aucun souci de compréhension quant à l'anglais et au russe basique, mais je pense au quidam qui, lui, ne les connait pas. Damned, quid du quidam?! Tant pis pour lui? Nous sommes au XXIème siècle, à l'ère d'Internet et de l'Espéranto alors... Encore une fois, soit, disons que ça fait couleur locale. Mais ce qui me gêne, ce n'est pas ce threesome linguistique. Ce qui me gêne, c'est l'impression que ça vient d'une philosophie de l'étalage: la science, c'est comme la confiture, moins on en a, plus on l'étale. Certes, la critique est aisée et l'art difficile, oui.
Toujours est-il que j'ai l'impression que Beigbeder profite de son roman pour faire montre de son érudition, pour prouver qu'il lit aussi de la vraie littérature pour grands quand il ne sniffe pas de la coke sur les capots de bagnoles. Essaye-t-il de se justifier? Peut-être recherche-t-il l'attention que, à l'instar d'Octave, il n'a pas reçue dans son enfance... Tant qu'à faire son auto-analyse, autant laisser le lecteur en penser ce qu'il veut (peut). Le texte est donc truffé de citations et de noms d'auteurs, de compositeurs, de chorégraphes russes: remplissage et étalage? Difficile à dire, mais cela m'a paru assez fréquent pour passer pour de la simple culture. Serait-ce une marque de manque ou faiblesse de culture, donc de sous-culture? Le ton est parfois didactique et cela peut agacer.
Malgré tout, je ne suis pas déçue du voyage en Russie. J'ai dévoré le bouquin alors que je passais deux semaines plutôt difficiles, et en plus, je suis assez lente. Le style et l'intrigue entraînent le lecteur. On navigue entre confessions, dépositions et témoignages, le language est donc parlé, d'où sa fluidité. C'est agréable et facile à saisir. De plus, le côté "sub-culture underground", cette ambiance décalée de la sous-culture obscure des chasseurs de futures top-modèles anime le livre, aiguise la curiosité et malmène gentiment le lecteur entre acceptation et rejet.